À la poursuite de la Matière Noire.
Il y a la cave de Batman dans les films. Et puis il y a la vraie ! Moi, je connais une bande de scientifiques qui bosse enterrée à 1700 mètres sous la montagne (non, pas dans la Moria). Vous avez déjà pris le tunnel du Fréjus pour aller en Italie ? A mi-longueur, il y a une grande porte blindée sur la gauche… eh bien c’est l’entrée de leur labo !
Et s’ils jouent les hypertaupes, c’est pour une bonne raison : la barrière rocheuse de la montagne les maintient (à peu près) à l’abri des rayons cosmiques, en particulier les muons. Et le milieu est aussi très peu impacté par des phénomènes de radioactivité naturelle, assez omniprésente autour de nous. Car ici, on mène des expériences ultrasensibles qui doivent être maintenues le plus possible à l’abri de toutes ces minuscules particules-projectiles qui interfèrent…
Vous voulez voir à quel point ? Ils ont apporté 2 appareils pour vous montrer tout ce qui vous transperce en permanence sans que le sachiez… Perturbant, hein ?…
L’attaque des rayons cosmiques !
Une large part de la radioactivité naturelle sur Terre vient en fait de… l’espace : ce sont des myriades de particules (des protons et des électrons, mais aussi des noyaux d’atomes …) bombardés vers la Terre à une vitesse proche de la lumière (300 000 km/s). Une bonne partie proviennent de la couronne du soleil (on parle de vent solaire), mais d’autres viennent de bien plus loin, puisqu’ils sont nés dans la mort, sous forme de gigantesques explosions, d’étoiles massives lointaines (phénomène appelé supernova)
En pénétrant dans l’atmosphère, les particules cosmiques entrent en collision violente avec les molécules de cette dernière et génèrent en cascade une gerbe de particules secondaires parmi lesquelles on trouve des particules instables, qui se comportent un peu comme des électrons mais en 200 fois plus massives : les muons.
La chambre à étincelles permet de les visualiser : elle comporte 2 plaques électriques parallèles dont une chargée à haute tension baignant dans un gaz noble (néon ou hélium). Lorsqu’un électron ou un muon traverse la chambre, il heurte les atomes du gaz et leur arrache leurs propres électrons (il les ionise) : le gaz devient momentanément conducteur à cet endroit, et des étincelles bien visibles éclatent alors avec la plaque. Eh, on t’a vu, le muon !
Viens voir ma chambre à brouillard !
A l’origine, la chambre à brouillard est un outil de recherche scientifique qui a, entre autres, permis la découverte de l’antimatière, en 1932. Depuis les années 50, elle a cédé la place à des machines plus sensibles dans les labos, mais elle reste un excellent moyen pour les petits privilégiés d’Yggdrasil de visualiser, là aussi, les particules en goguette.
Là, c’est sous forme de trainées de condensation qu’elles se matérialisent. On maintient dans la chambre une phase de vapeur d’eau ou d’alcool sursaturée : en gros, elle ne demande qu’à se condenser sous forme de gouttelettes. La moindre perturbation en fait apparaitre. Quand une particule chargée électriquement traverse la chambre, on voit de manière fugitive la trace laissée par son passage, avant que les gouttelettes ne se redispersent.
La quête de la matière noire : comment traquer un truc sans savoir à quoi il ressemble…
Si les théories d’Einstein sont bonnes quant à la Relativité Générale (et il commence à y avoir un sacré faisceau de preuves concrètes qu’elles le sont), alors elles amènent à un constat assez vertigineux. Car elles définissent les lois de la gravité, or plusieurs observations différentes (mouvements de galaxies, entre autres) nous disent qu’il y a une énorme quantité de matière en plus que ce qu’on connait.
Un truc qui est là, qu’on ne voit pas parce qu’il n’interagit pas avec la lumière, mais qui possède malgré tout une masse considérable. Les scientifiques, qui ont trop regardé Star Wars, l’ont joliment baptisée Matière Noire, ou Matière Sombre. Il est essentiel de la comprendre pour expliquer les mécanismes des origines de l’Univers, où elle joue de toute évidence un rôle essentiel dans la création des grandes structures (le squelette de l’Univers).
Oui mais alors, comment détecter un machin aussi furtif ? Lorsqu’une particule de matière noire frappe un noyau de matière ordinaire, on espère qu’elle provoque un infime recul de celui-ci… ce qui permettrait de signer son passage. Pour capter des événements si ténus, les détecteurs sont conçus dans un matériau très peu radioactif et protégés des radiations parasites afin de minimiser tout bruit de fond qui cacherait le signal recherché.
L’antiquité à la rescousse du 21ème siècle !
On vient de le voir, le Laboratoire Souterrain de Modane cherche des signaux extrêmement rares et infimes, et se protège donc des perturbations issues de son environnement (rayonnements cosmiques, radioactivité naturelle des roches). Et pour se mettre à l’abri du peu qui reste même sous la montagne, on enferme les détecteurs dans un bouclier de plomb.
Le truc, c’est qu’à peu près tout matériau possède une radioactivité naturelle… y compris potentiellement le plomb qui compose les détecteurs eux-mêmes ! Le seul plomb qui ne possède pas de radioactivité résiduelle, c’est le plomb très ancien.
Et… vous voulez une aubaine ?
Le LSM a pu récupérer les lingots de plomb que transportait un ancien navire celte coulé au large de la Bretagne. Le bateau, parti de Grande Bretagne, est venu faire naufrage comme une quiche, vers 400 après JC, sur le site des Sept Iles. La coque a entièrement disparu, laissant apparaître un cadeau de rêve pour scientifiques radioactivitophobes : sa cargaison de plomb (270 lingots, 22 tonnes), désormais plus ancien qu’ancien !
Euh… Messieurs les Archéologues, vous en faites quelques choses, des briques de plomb toutes vilaines et même pas sculptées, là ?…
Crédits photos :
Photos 1 & 2 : LSM – CNRS
Photo 3 : ©Yves GLADU